Comment contrôler les rumeurs ? Comment les combattre ? Comment lutter contre les « on dit » ?
Spécialiste de la rumeur et des fake-news, Pascal Froissart – Directeur du CELSA, professeur des universités en Sciences de l’information et de la communication, membre du GRIPIC retrace dans son ouvrage L’invention du fact-checking, enquête sur la « Clinique des rumeurs » Boston, 1942-1943 aux Editions PUF une histoire inédite, qui nous plonge dans les débuts d’une pratique devenue courante aujourd’hui : le fact-checking, posant ainsi la question de la vérité journalistique.
Pascal Froissart répond à 3 questions :
C’est un livre sur le fact-checking, ou un livre sur les rumeurs ?
Un peu des deux. En cherchant à écrire l’histoire des dispositifs de lutte contre les rumeurs, je suis tombé sur cette rubrique « La clinique des rumeurs » dans un journal américain, The Boston Herald, des années 1940. Elle était organisée avec le même plan qu’utilisent aujourd’hui les rubriques de fact-checking : d’un côté, une allégation nommée « Rumor » (type « Les Allemands ont introduit une forme particulière de bronchite aux USA ») ; de l’autre, un démenti nommé « Fact » (genre « Non, ce n’est qu’une épidémie de rhume »), puisé aux meilleures sources, officielles et définitives. Je me suis donc aperçu que le fact-checking était une pratique plus ancienne qu’on croyait, même si on ne la nommait pas encore ainsi. On parlait de lutte contre les rumeurs, d’où le nom de la rubrique…
Qu’est-ce que le contexte de la Seconde Guerre mondiale a encore à nous dire sur notre époque actuelle ?
Aujourd’hui encore, nous cherchons à contrôler les rumeurs, les fake news, les canulars, n’est-ce pas ? On aimerait tellement connaitre le remède à la malhonnêteté médiatique, à l’outrance, à la manipulation ! Aujourd’hui comme à la fin des années 1930, des opinions antisémites, racistes, autoritaires, se déploient dans l’espace médiatique sans contre-feu systématique, sans réaction immédiate. Les promoteurs de la Clinique des rumeurs ont voulu lutter contre tout ça, avec des mots, quelques illustrations, l’appui d’un journal populaire. Cette expérience m’a paru extrêmement intrigante, tant par son but que par son destin. La rubrique a surgi en mars 1942 et a disparu en décembre 1943. Pourquoi si tard, pourquoi si tôt ? Il m’a fallu mener l’enquête car on ne savait presque rien de cette rubrique ni de ceux qui étaient derrière.
Vous avez construit l’ouvrage sur un certain nombre de portraits. C’est un roman ?
C’est d’abord une enquête, grâce à des archives et des témoignages, car il fallait que je décrive la rubrique, le journal, les lieux, les sources de financement, et même ce qui s’y disait puisque le contenu était presqu’inconnu. Mais je l’avoue, je me suis laissé prendre par les acteurs et actrices de l’histoire, par les coups bas, par les stratégies, jusqu’à voir des espions partout. Car vous imaginez bien que, quand on se mêle de contre-propagande en plein milieu d’une guerre, ça vous expose à rencontrer un certain nombre d’hommes en gris…
Retrouvez l’entretien de Pascal Froissart à l’occasion de la sortie de son livre :